Surréalisme
1924-2024
Marcel Duchamp, metteur en scène attitré des expositions surréalistes, a voulu donner à celle de 1947 la forme d'un labyrinthe. Le terme "labyrinthe" dérive du grec labrys, signifiant une double hache, symbole de la dualité entre l'été et l'hiver. Dans cette structure labyrinthique réside un secret : le Minotaure, créature hybride mi-homme mi-animal, représente la convergence des opposés – vie et mort, réel et imaginaire, passé et futur. Le labyrinthe, en tant que métaphore, incarne la quête surréaliste de réconciliation des contraires, invitant à abandonner les idées claires et rationnelles à sa porte pour explorer un monde où le rêve et la réalité se mêlent.
1 | Entrée des médiums
Le surréalisme réinvente le rôle du poète comme un "voyant" capable de capter les résonances de l'inconscient universel. Giorgio de Chirico ouvre la voie en 1914 avec un portrait prophétique de Guillaume Apollinaire. En 1922, André Breton publie "Entrée des médiums", évoquant les séances de sommeil hypnotique des surréalistes. Cette pratique, centrée sur l'inconscient, s'accompagne d'une fascination pour les œuvres médiumniques et les témoignages psychotiques, comme en témoigne "Les Champs magnétiques" coécrit avec Philippe Soupault. L'écriture automatique, libérée du contrôle rationnel, trouve un écho visuel dans les frottages de Max Ernst et les créations de Masson.
2 | Trajectoire du rêve
André Breton, inspiré par le travail d'Albert Maury et les méthodes psychanalytiques de Sigmund Freud, transpose l'interprétation des rêves en techniques poétiques. Les surréalistes publient leurs "récits de rêve" pour capturer l'émerveillement et la logique du rêve. Dans "Les Vases communicants" (1932), Paul Éluard et Breton explorent la fusion entre réalité et rêve. Le Manifeste du surréalisme questionne la capacité du rêve à résoudre les questions fondamentales de la vie, soulignant l'importance du rêve dans la recherche surréaliste.
3 | Lautréamont
La redécouverte d'Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont, par la revue Vers et Prose en 1914 marque un tournant pour les surréalistes. Les Chants de Maldoror, défiant toute logique et exaltant la violence, deviennent un mythe littéraire. Lautréamont, avec son esthétique du collage et de la rencontre improbable, influence profondément le surréalisme, offrant un modèle pour l'art qui transcende la logique et l'harmonie, et reflète la faillite du monde moderne.
4 | Chimères
La Chimère, créature hybride décrite par Homère, fascine le surréalisme par son illogisme et son collage. En 1925, les surréalistes inventent le jeu du cadavre exquis, appliquant le principe du collage à l'art visuel. Ce jeu, qui produit des assemblages d'images inimaginables, devient un emblème de l'activité collective du surréalisme, incarnant l'esprit du mouvement à travers des créatures composites et irrationnelles.
5 | Alice
Alice, à travers les écrits de Lewis Carroll, incarne l'enfance rêvée et l'illogisme. Aragon, en 1931, célèbre Alice et son univers merveilleux dans Le Surréalisme au service de la révolution. Alice, subversive et imaginative, est considérée par Breton comme une ancêtre du surréalisme. Les poèmes de Gisèle Parassinos, publiés en 1934, renforcent cette vision de l'enfance comme source de génie poétique surréaliste.
6 | Monstres politiques
Le surréalisme, répondant aux injonctions de Marx et Rimbaud, s'engage politiquement en soutenant des causes telles que l'opposition à la guerre coloniale au Maroc. Face à la montée des fascismes, le mouvement se peuple de monstres symbolisant la menace des totalitarismes. La revue Le Minotaure (1932), avec son emblème bestial, reflète cette réponse surréaliste aux crises politiques de l'époque.
7 | Le Royaume des Mères
Les "Mères" du second Faust de Goethe représentent le mythe poétique fondamental du surréalisme. André Breton, en 1942, associe Yves Tanguy à l'exploration du royaume des Mères, évoquant un monde de métamorphoses infinies. Les Mères, en tant que matrices de la création, inspirent l'écriture automatique et les visions embryonnaires d'artistes comme Grace Pailthorpe et Salvador Dalí.
8 | Mélusine
Mélusine, créature hybride mi-femme mi-serpent, est réinterprétée par André Breton dans Arcane 17 (1944). Cette figure mythique, influencée par les paysages américains découverts par Breton, symbolise une réconciliation entre nature et humanité. Mélusine incarne un modèle de civilisation où les forces élémentaires de la nature et l'humanité sont en harmonie.
9 | Forêts
Pour les surréalistes, la forêt devient le lieu de l'inconscient et du merveilleux. Max Ernst et Wifredo Lam explorent la forêt comme un espace de métamorphose et de nature primitive. Dans un article de Benjamin Péret publié en 1937, la forêt dévore le progrès et devient un symbole de la résistance contre la destruction coloniale.
10 | La pierre philosophale
Les recherches surréalistes, parallèles à l'alchimie, cherchent à fusionner connaissance et intuition. Dès 1923, les alchimistes comme Hermès Trismégiste sont cités comme sources d'inspiration. Les œuvres surréalistes, de L’Amour fou à Arcane 17, utilisent l'occultisme pour explorer la coexistence de la science et de la poésie, avec des figures comme Bernard Roger, qui voit dans l'alchimie une "science d'Amour".
11 | Hymnes à la nuit
Inspirés par les hymnes à la nuit de Novalis et Victor Hugo, les surréalistes célèbrent l'obscurité et le mystère. Gérard de Nerval, avec Aurélia, et André Breton avec La Nuit du tournesol, explorent la nuit comme un espace de transformation. Brassaï, dans Paris de nuit, révèle le potentiel de la nuit à transformer la ville moderne en un labyrinthe merveilleux, alors que les surréalistes plongent dans l'obscurité lors de leur Exposition internationale de 1938.
Commissariat : Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne.
Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes, Centre Pompidou.